portrait

... en10 questions

Un modèle ?

Il n’existe pas en chair et en os ! Il est le fruit de l’imagination et des connaissances, de la liberté et du conditionnement (ou, disons, de notre culture). Le modèle n’est pas pour autant un « idéal » qu’il faudrait atteindre pour réussir, il est une inspiration, une aspiration. Mon modèle est un chant intérieur rempli de couleurs, de parfums, de lumière, de gestes, mais aussi de réflexions, d’analyse, de références… En tout état de cause, même s’il est en moi, il est plus grand que moi.

Un défi ?

Prouver à ceux qui disent que « la musique classique n’est pas pour eux » qu’ils se trompent ! Très souvent mes futurs mélomanes croient qu’il faut savoir beaucoup de choses pour apprécier la musique. Lorsque j’arrive à les convaincre qu’il n’est pas besoin de grandes connaissances pour percevoir la beauté, comme la beauté d’un lac ou d’une montagne, je jubile et passe au défi suivant : leur donner envie de connaître d’autres œuvres pour apprécier davantage la première.

Votre dernière découverte ?

Technoparade : C’est un disque des œuvres de chambre de Guillaume Connesson. Lorsque je l’ai découvert, c’est tout d’abord l’enthousiasme qui m’a envahi : à la fois je découvrais un univers onirique, fantastique et personnel, à la fois je constatais que nous sommes en train de vivre un tournant dans la création, comme ce fut le cas au début du XXe siècle. Comme d’habitude, ce changement suscite beaucoup de polémique dans le milieu musical, mais le moment est historique et passionnant !

Votre complice préféré ?

Jérôme Ducros. Depuis une douzaine d’années, j’apprends tous les jours de lui, de sa vision limpide de la musique, de sa clarté d’expression et de son humilité d’artisan. Ducros joue, compose, improvise tous les jours… Il parle musique. En répétition nous n’échangeons pas un mot.

Une interprétation parfaite ?

C’est celle où l’interprète disparaît absolument. Bien sûr, l’œuvre le traverse et s’imprègne de toute sa sensibilité, sa compréhension, etc. Mais l’interprète n’existe plus « en soi », en tant qu’homme. Il incarne l’œuvre qu’il représente. Il devient, comme l’observe Proust sur la Berma, une fenêtre qui s’ouvre sur un paysage. L’interprétation « parfaite », même si elle est le résultat de la connaissance et de l’imagination, même si elle est préméditée, se crée dans l’instant. Elle sera différente chaque fois et nous échappera entièrement dès qu’on cherchera à la définir.

Un livre ?

Le mien ! L’Amateur, aux éditions Symétrie. Au Moulin du Bien-Nourri à Châtellerault, Arsène, professeur-amateur, recherche avec ses élèves la manière dont l’idée musicale prend vie et se traduit en sons au travers de l’interprète. Ce roman s’adresse tant aux étudiants qu’aux amateurs et aux mélomanes qui voudraient se faire « petite souris » dans un stage de musique.

Un projet ?

Mourir heureux. D’ici-là s’occuper joyeusement, s’émerveiller du monde et de ses étoiles, s’émerveiller des talents qui s’expriment avec justesse. Vivre pleinement, avec légèreté et profondeur.

Une passion ?

Transmettre est ma passion par-dessus tout. Transmettre la beauté, le savoir, le rire, le doute, l’expérience. Par le concert, par le cours ou le discours, peu importe. Ma seule préoccupation lorsque je découvre ou que j’aime est de savoir comment je vais en faire profiter l’entourage, qu’il soit proche ou inconnu.

Votre première émotion musicale ?

Voilà une question difficile. Je ne sais pas. Je ne me souviens pas de « la première ». Au juste, comment l’émotion musicale naît-elle ? La première est purement instinctive, réactive, primaire. Ensuite plus l’art nous habite, plus nous éprouvons une émotion profonde, une émotion qui touche le cœur de l’être. Cette émotion, nous ne la connaîtrions pas sans le génie de certains hommes. Merci à eux.

Article parut dans le Monde de la Musique.